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INTERVIEW : Trois questions à Henry Buzy Cazaux
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INTERVIEW : Trois questions à Henry Buzy Cazaux

Décryptage 3 questions de la situation immobilière avec Henry Buzy Cazaux

Monsieur Buzy Cazaux, vous êtes aujourd’hui un véritable homme d’influence dans le monde de l’immobilier. Vous faites partie de nombreux conseils et groupes de réflexion, et tout dernièrement, vous avez été nommé au Conseil National de l’Habitat. 

Alors nous sommes aujourd’hui dans un contexte très particulier qui a bouleversé notre rapport au chez soi, à l’environnement de travail, et plus largement notre rapport aux autres et donc notre rapport à l’espace public. 

Comment cette crise – crise ou opportunité d’ailleurs ? – façonne-t-elle une nouvelle vision de l’habitat, de la ville durable de demain ? 

La crise sanitaire, vite devenue une crise économique et sociale, va sans conteste modifier fondamentalement le regard des Français tant sur leurs lieux de résidence que sur leurs lieux de travail. Je vois deux grandes évolutions.

La première va me semble-t-il nous faire passer d’un habitat subi à un habitat choisi. Nous vivons depuis un an une situation inédite de privation de libertés et nous sommes assignés à résidence au sens propre, aujourd’hui pendant les heures de couvre-feu et naguère en permanence lors des confinements. Au demeurant, au moment où je réponds à vos questions, un troisième confinement n’est pas à exclure. Nous avons mesuré les qualités et les défauts de nos logements, et pour être honnêtes, la plupart auront surtout vu ce qui leur manquait dans le logement. L’espace bien sûr pour une majorité d’urbains, la lumière, la clarté, la verdure, le calme. Ceux qui n’ont pas eu à faire ce constat constituent une minorité de privilégiés, il faut le reconnaître. En fait, tout se passe comme si depuis des décennies, depuis la Reconstruction, les ménages étaient allés vivre où était l’emploi et l’emploi devenant majoritairement tertiaire ils se sont concentrés dans les villes, les grandes villes et les métropoles essentiellement. L’inflation des prix dans les zones denses a largement gouverné les choix de logements et les propriétaires comme les locataires ont dû transiger avec leurs critères et accepter, pour certains, les plus fragiles, accepter l’inacceptable. 

À n’en pas douter, il restera une exigence envers le logement, dont il va falloir tenir compte. 

La seconde évolution est celle d’un aménagement du territoire différent. On pourrait même dire d’abord d’un aménagement volontariste, là encore contre un aménagement subi. L’État a laissé se concentrer l’attractivité sur quelques zones, les métropoles, en délaissant les autres territoires. Les ménages, dans cette période de crise sanitaire, ont ressenti leur besoin d’une vie avec moins de tensions et un rythme plus humain, des lieux durables et répondant à leurs préoccupations environnementales. Ils l’avaient déjà exprimé lors des élections municipales ou encore à la faveur de la Convention citoyenne pour le climat. 

Les villes moyennes leur apparaissent désormais comme une alternative crédible aux plus grandes villes. En outre, il va falloir accélérer le renouveau de l’organisation spatiale des métropoles, avec la création effective du Grand Paris, mais aussi du Grand Bordeaux ou du Grand Lyon: ces métropoles en un autre sens du terme, avec une ville centre et des clusters économiques reliés de façon radiale à la ville centre par des infrastructures qui la placent à moins d’une demie heure de chaque cluster, sont attendues des ménages. Ces espaces multipolaires vont déconcentrer les grandes villes et leurs périphéries. Enfin, les zones rurales sortent de cette crise renforcées : certes, passer de la ville à la campagne est une mutation à la portée de peu de ménages, mais le regain d’intérêt pour ces territoires est clair et il leur aura notamment permis de ne pas se dévaloriser, contrairement à ce qu’on avait constaté lors des crises économiques précédentes. Ils se sont même appréciés. 

Chez mono • hito • koto nous cherchons à écrire les nouveaux récits urbains, avec les collectivités, promoteurs mais aussi avec les entreprises car nous sommes convaincus qu’avec la démultiplication de l’entreprise dans l’espace, – coworking, corpoworking et autres tiers lieux de travail en plus du siège social –  celles-ci vont avoir un rôle de plus en plus important dans la construction et l’expérience du paysage urbain. 

Quel rôle selon vous pour les entreprises dans la ville de demain ? 

Plus rien ne sera comme avant pour les entreprises dans leur rapport à leurs salariés après cette crise. Là encore, la pandémie et ses conséquences auront seulement catalysé des aspirations existantes. Le télétravail va s’imposer comme une modalité structurelle du monde du travail, au même titre que les congés ou les 35h ou la protection sociale! On aurait tort néanmoins de penser que l’enthousiasme des premiers mois tiendra lieu de feuille de route. Nous sommes actuellement à 20% d’heures télétravaillées en France, partis de 8% avant la pandémie. Une récente étude de l’Institut de l’épargne immobilière et foncière a anticipé ainsi une réduction au maximum d’1/6 des surfaces tertiaires à dix ans, sur les quelques 100 millions de mètres carrés que compte le parc national de bureaux. Il reste que la situation économique, au-delà de la relative aspiration au télétravail, va incliner les entreprises à procéder à des économies sur ce qui est leur deuxième poste de charges après la masse salariale, l’immobilier. Elles vont considérablement réduire leurs bureaux, en favorisant deux évolutions, la prise à bail d’emplacements de premier choix, pour l’image notamment, en cœur de grandes villes ou de certaines villes moyennes dont l’attractivité croît, et des locaux où les télétravailleurs se retrouveront et partageront.

Oui, il est certain que les espaces de coworking, de corpoworking, les tiers lieux ont un bel avenir. Les salariés le souhaitent, et les managers savent que les moments d’échange et de mise en commun des projets, des idées, des messages constituent le ressort de l’entreprise. Une entreprise est un destin collectif, pas une somme de compétences et de temps de travail isolés qu’on additionne. Sous l’effet des risques sanitaires, les professionnels du coworking ont redouté pour leur concept et leur modèle économique: s’il est évident que le confinement ou même seulement les précautions sanitaires comme la distanciation ou l’interdiction de réunions nombreuses leur aura porté provisoirement préjudice, leur offre s’imposera comme pertinente. 

Il y aura deux sortes de réponses: d’un côté des sièges de société qui proposeront des espaces communs intelligents, conviviaux, rassérénants, parfaitement équipés pour des moments studieux et agréables à la fois, jouxtant des lieux de loisir pur, comme des salles de sport ou de jeux, assortis de services de conciergerie pour les entreprises qui en auront les moyens; de l’autre côté des espaces de coworking à louer, pour les entreprises qui ne pourront disposer de lieux pour elles seules, ou pour les autres qui trouveront dans la location circonstanciée la souplesse nécessaire. 

Les conséquences sur la présence immobilière des entreprises dans nos villes sont claires : en cœur de ville, la mixité des fonctions résidentielle et tertiaire dans les quartiers et dans les immeubles collectifs, avec des bureaux identitaires de quelques centaines de mètres carrés, la fin du développement des quartiers d’affaire et le besoin de repenser et restructurer ceux qui préexistent, notamment à Paris, et la multiplication de lieux de travail partagés à louer, à la journée ou à l’heure. La ville du quart d’heure s’imposera aussi, tant pour ceux qui seront de passage dans la ville pour y travailler, mais vivront dans des endroits moins denses, que pour ceux qui auront les moyens de vivre dans la ville elle-même et en feront le choix. 

En parlant des prochaines générations d’étudiants, on observe une grande évolution des usages et des outils permettant peut-être une formation plus à la carte, et agile.  

Enfin, parmi votre éventail de fonctions, vous êtes très impliqué dans l’enseignement des métiers de l’immobilier.  Vous avez entre autres construit le programme Villes Territoires et immobilier à l’ESSEC et vous êtes aujourd’hui le fondateur et président de l’Institut du Management des Services Immobiliers. 

Le retour à l’humain et à la proximité, remettent la notion de service au cœur. 

Quels sont les enjeux et perspectives pour ces métiers ?

Deux constats d’abord: l’immobilier sortira de cette crise comme l’un des secteurs d’activité les plus résilients, selon le terme désormais consacré, et il aura conservé des besoins humains considérables. Ensuite, les jeunes ou les moins jeunes sont de plus en plus attirés par ces métiers, de l’amont à l’aval, sans doute parce qu’ils ont du sens et que c’est LE critère de choix de carrière aujourd’hui. La raison d’être des entreprises immobilières est évidente. Ce sont notamment des métiers qui font et feront une place de première importance à la préoccupation environnementale, qui constitue une partie de ce sens recherché. Secteur très coupable d’altérer la planète, il est en passe de devenir un exemple d’efforts de vertu, certes sous la contrainte réglementaire, mais aussi au terme d’un élan spontané. L’immobilier de demain sera vert ou ne sera pas et il sera plus que jamais au service du bonheur des ménages et des entreprises ou des commerces. Cette crise impose les réponses immobilières comme parties prenantes de l’équilibre de la démocratie, bien plus que jamais par le passé dans l’histoire de notre pays et du monde. 

Alors, oui, le concept de services inspirera de plus en plus les pratiques professionnelles. Vous savez que je peux avoir la dent dure et je dis volontiers que ce secteur l’avait un peu oublié, particulièrement dans le résidentiel… Il s’ajoute à cette prédiction que le digital, qui aura constitué la modalité de recours pendant la crise sanitaire, va rester structurant des pratiques. On ne reviendra pas en arrière. Les métiers vont y gagner en intérêt et se recentrer sur la valeur ajoutée et le conseil, tant en transaction qu’en gestion. Les start-up de l’immobilier sont les gagnantes de cette période de mutation forcée. 

Bref, je dirai sans aucune hésitation que les métiers de l’immobilier, dans le privé comme dans le logement social, dans la production comme dans les services à proprement parler, pour l’habitation comme pour l’activité, ont devant eux des décennies heureuses. 

L’IMSI sera au rendez-vous de l’histoire!

Merci Monsieur Buzy Cazaux !

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Henry Buzy-Cazaux préside l’Institut du Management des Services Immobiliers, l’un des principaux établissements de formation initiale et continue pour les métiers de l’immobilier, qu’il a fondé. Il est aussi directeur général de l’ISC Paris Business School. Il a préalablement présidé l’Ecole supérieure des professions immobilières. Il est aussi l’un des créateurs du pôle immobilier de l’ESSEC, ou encore du BTS professions immobilières.

Ancien éléve de l’Ecole normale d’instituteur, passé ensuite par l’agrégation de philosophie puis l’ESSEC, il a d’abord enseigné, avant d’être le proche collaborateur de personnalités politiques de premier plan. Il a en particulier conseillé Pierre Méhaignerie, ministre de l’équipement et du logement. En 1991, il entre dans le secteur immobilier. Il y dirigera la FNAIM pendant près dix ans, mais aussi FONCIA, Tagerim ou encore le Crédit Immobilier de France. Il préside également aujourd’hui la commission “immobilier, logement et ville durable” du Forum pour la gestion des villes et des collectivités locales et territoriales.

Biographie tirée du site : www.lavieimmo.com