mono hito koto logo
INTERVIEW : Dominique Sciamma, directeur de Strate Ecole de design
1064
post-template-default,single,single-post,postid-1064,single-format-standard,theme-stockholm,qode-social-login-1.1.3,qode-restaurant-1.1.1,stockholm-core-1.1,woocommerce-no-js,select-theme-ver-5.1.8,ajax_fade,page_not_loaded,side_area_over_content,wpb-js-composer js-comp-ver-6.0.5,vc_responsive

INTERVIEW : Dominique Sciamma, directeur de Strate Ecole de design

mono • hito • koto a eu la chance d’interviewer un des grands penseurs et défenseurs du design : Dominique Sciamma, directeur de Strate, école de design depuis 2013.
Nous y avons abordé la place du design dans le monde de demain et la dimension immatérielle de cette discipline au coeur des problématiques actuelles.   

MHK : Il est vrai que dans le monde immobilier on entend encore peu parler de design mais plus d’urbanisme et d’architecture, de space planning, de change management etc. Quelle place selon vous pour le design dans l’immobilier de demain ?

Dominique Sciamma : Ma pensée par rapport au design concerne un domaine plus large que celui de l’immobilier. Pour moi, le design c’est de la politique car il traite des conditions du vivre et du vivre ensemble. Je parle du vivre ensemble au sens des lumières : moi, mon épanouissement personnel et moi, ma capacité à m’insérer dans un projet plus grand que moi, avec et parmi les autres.

Ce projet de dessiner le “vivre ensemble” dans notre monde où il y a de plus en plus d’êtres humains devient une question centrale. 

Nous avons créé un ordre social basé sur le progrès et notre capacité à produire des biens pour pouvoir en jouir,  avec un ascenseur social. Et pour cela, nous avons juste besoin d’être à la tache, de contribuer à créer de la valeur, de faire notre job. En quelque sorte, nous nous comportons comme des myopes qui font des choses à leur échelle, dans leur champ de vision en ayant la certitude de contribuer à quelque chose de plus grand. Et malheureusement dans ce système d’ordre, la politique, le “vivre ensemble” disparaît car on ne se focalise que sur les conditions pour pouvoir jouir de ces biens.

Et on le voit bien, tout ce système sans politique ne marche plus, le projet se fracasse totalement. Le système économique et industriel souffre, la planète souffre et on voit en quoi on est en train de tuer la nature et l’écosystème. En fait on se tue nous-mêmes.

Mais dans ce malheur, je reste assez heureux.
D’abord parce que le projet universel du bonheur reste à poursuivre… mais autrement. Avant, tout semblait écrit à l’avance mais là, on doit écrire ce projet tous les jours, ensemble. Et on doit aussi se demander pourquoi on écrit, et pourquoi pourquoi ? On ne croit plus en un projet plus grand que soi implicite, auquel on fait confiance aveuglément. On est dans le projet et ça c’est le retour de la politique, le retour de l’écriture du “vivre est vivre ensemble”, et donc c’est le moment du design.

Car le design comme je le dis souvent, c’est autant un dîner en amoureux dans un café italien et son ambiance romantique, que le dernier souffle dans une chambre d’hôpital dans la solitude ou avec la présence des proches. Tout cela, toutes ces interactions se designent.

Le design a cette capacité d’écriture, d’organisation, et d’animation du vivre ensemble. C’est en cela que le design revient au politique comme tout revient au politique.

 

Le vivre ensemble implique la compréhension de l’autre, de ses émotions. Quelle est la place de l’empathie dans le design ?

Je ne suis pas un romantique.
Oui dans le design, il y a de l’émotion et de l’empathie, mais l’empathie c’est une condition. Pour moi c’est plus un problème qu’il faut résoudre. L’empathie fait partie de la méthodologie. Au-delà de l’empathie il y a le savoir, la collaboration, la complexité.

C’est pour ça que je parle de la politique. Le design s’intéresse à la vie des gens, personnelle et collective, professionnelle et privée et comme il est politique, le design est forcément lié à l’urbain. Cela vient de l’origine même du terme politique : polis, la ville. La politique, et donc le design, c’est l’organisation de l’espace civil : de la cité et de la ville.

 

Designer la vie en ville, les interactions sociales… Chez mono • hito • koto, on cherche à moins designer les villes en soi qu’à designer les relations humaines, à revenir à l’essentiel, ce qui fait de nous des êtres humains : les émotions, le lien culturel, familial. C’est prendre un peu à contrepied la tendance actuelle qui cherche à rendre intelligent les bâtiments avec de plus en plus de technologie. Cette approche pour moi n’est pas durable.

Oui, Les villes, les infrastructures, les flux, les technologies et services, tout ça !

A Strate Ecole de Design, nous avons créé un Master in Design for Smart Cities avec comme sous-titre « Designing Beautiful Lives in a Smarter City » On s’intéresse au fait que les gens y bougent, mangent, s’éduquent, meurent, et se réparent dans ces villes. On designe donc et d’abord des expériences de vie. Si c’est pour participer à la blockchain et aux autres trucs dans le même genre, ce n’est pas notre affaire, encore une affaire de myope.

On est donc exactement dans ce que tu dis.  On revient à l’expérience humaine et ce qui permet de la qualifier : comment on se sent et comment on perçoit les choses. Finalement on est moins intéressés par les buildings que par les gens ; le système complexe humain dans ce qu’il a de matériel et d’immatériel.

Il faut former les designers de cette façon.
Jusqu’à aujourd’hui, on a éduqué les designers dans la logique du monde Industriel d’avant.
On rentre dorénavant dans un nouveau monde de penseurs politiques et de faiseurs politiques. Dans l’école de design de demain, tout ce qui nous intéresse, c’est les gens et leur bien-être, les expériences qu’ils vivent. Dans ces expériences, il ne faut pas oublier les services, les objets, la relation entre les gens et les objets mais aussi la relation entre les objets. LIntangible entre les objets tangibles.

 

C’est ce que l’on avait abordé ensemble dans le master design d’interaction 🙂

Exactement. Le master va très bien d’ailleurs.

Nos émotions sont intangibles, les relations se construisent sur des échanges immatériels. Ça fait de l’humain une « technologie » unique.

On a créé un nouveau lab de recherche il y a deux semaines qui s’appelle « Robotics by design Lab  – IA, Robots et Humains : vers une écologie du vivre ensemble ». Pourquoi ? Parce qu’on nous promet, on nous raconte et on nous construit petit à petit un mode dans lequel il y a des objets avec des corps matériels qui vont prendre des décisions à notre place a priori pour notre bien.  Ces objets, ce sont les robots, des machines, des applis, de l’intelligence artificielle. L’idée de ce lab c’est de se poser plein de questions :

Qu’est-ce que c’est que ce monde ?
Comment est-il partagé entre ces objets et les être humains ? Quel impact ces objets ont-ils sur nos relations ? Quelles sont les relations entre eux ?
Comment sort-on à la fois des utopies et des distopies ?
Comment peut-on se préparer ? Comment peut-on anticiper ?

On est encore une fois dans une thématique de la relation et du relationnel
Est-ce qu’une machine comme le rhumba a un générateur d’émotions ? Et si oui que ressentirait-il ? C’est passionnant

Robotics by Design : ça a commencé il y a 15 jours, avec 5 partenaires industriels
Spoon (start-up en robotique), Korian (leader européen des maisons de retraite), BNP Paribas Cardif (assurance emprunteur), SNCF et frog-Altran (conseil en ingénierie et innovation et design) et 2 partenaires académique, l’ENSTA et le CESI Ecole d’ingénieurs.

Merci Dominique 

 

Biographie Dominique Sciamma 

Dominique Sciamma est diplômé de l’université Paris 7 en mathématiques ainsi qu’en informatique théorique. Acteur des TIC depuis plus de 30 ans, il en a abordé de nombreux aspects : chercheur en IA, auteur logiciel, directeur marketing, responsable international en Asie, consultant en stratégie, consultant en résolution de problèmes complexes, marketing multimédia, direction des éditions électronique de la Tribune, développeur d’un CMS, scénariste de BD et de jeux vidéo, concepteur d’interfaces. Travaillant pour Strate Ecole de design depuis 1998, où il a encadré l’ensemble des diplômes jusqu’en 2013, il y a créé en 2007 le département « Systèmes et Objets Interactifs », créé la direction de la recherche en 2010, avant de prendre la direction de l’école en 2013.. Extrait de http://lecube.com/biographies/dominique-sciamma

photographie issue du site de l’école https://www.strate.design/galerie/actualites/leader-designer