INTERVIEW : Laurent Le Bon, président du musée national Picasso-Paris
Mono • Hito • Koto a eu la chance d’interviewer l’un des grands professionnels et visionnaire du monde de l’exposition : monsieur Laurent Le Bon, président du musée national Picasso-Paris depuis 2014.
Nous y avons abordé l’expérience, la scénographie mais aussi la relation étroite entre le musée et la ville.
MHK : Je souhaitais explorer avec vous la pertinence ou non de développer une approche narrative dans un musée.
Laurent Le Bon : Dans notre métier, il y a un grand professionnel qui s’appelle Harald Szeemann et qui a écrit un livre qui s’intitule “Écrire les expositions”. Il y a effectivement une logique narrative dans notre métier, une tendance qui nous rapproche du monde du cinéma et des scénarios.
On se rend bien compte, lorsque l’on observe les différentes grandes expositions qui ont lieu aujourd’hui, que l’on ne peut plus afficher juste un nom comme Picasso, Leonard de Vinci ou Degas. Il faut aller chercher une histoire, la scénariser, pour séduire nos publics. On rentre davantage dans le cœur du processus créatif.
Justement dans ce processus créatif, comment traduisez-vous spatialement, graphiquement ces scénarios ? Comment faites vous pour transmettre l’histoire sans forcément utiliser le texte ?
Le monde des expositions est pris entre deux pôles : le pôle de la pédagogie et celui du plaisir.
Le musée est au cœur de cette tension. Par exemple, l’Atelier des lumières crée une expérience immersive totale qui se rapproche des sons et lumières des années soixante.
Mais pour moi l’Atelier des Lumières n’est pas un musée…
C’est une trentaine de minutes de représentation, avec des horaires d’arrivée de fin de séance et les gens applaudissent à la fin : nous sommes davantage dans les codes du spectacle que du musée. Ce n’est pas pour autant qu’on peut l’ignorer. Ce sont des expériences qui viennent défier le monde des expositions.
La question est comment ramener du contenu pédagogique dans cette démarche ?
Comment amener le spectaculaire de l’immersif auprès de l’œuvre originale sans la masquer ?
Aujourd’hui les musées sont à la croisée des chemins, on explore le digital mais au final il y a peu de choses qui font vraiment avancer le chmilblik. Je me souviens de l’exposition Cités-Cinés de François Confino où le monde du cinéma essayait de dire la magie des villes et il y avait pour moi un degré d’immersion magique.
Justement par rapport à la ville. Comment ancrer et faire rayonner le musée dans son quartier / son écosystème ?
C’est une autre question centrale effectivement.
Nos publics sont intéressés par le fait de vivre des expériences totales. Aujourd’hui, le musée est parfois lié au paysage. Je pense aux musées de l’île de Naoshima au Japon typiquement, où on a une expérience en osmose avec la nature.
À l’échelle plus urbaine, le musée Picasso n’est pas à Aubervilliers, ni aux Invalides mais au cœur du Marais. Les gens viennent pour le nom de Picasso mais nous essayons de faire en sorte que quand ils viennent, ils vivent une expérience plus intime. Nous nous attachons à raconter l’histoire du lieu.
Votre question traduit la tension entre le local et l’universel. Le musée Picasso à Paris n’offrira jamais la même expérience que celui de Barcelone.
Nous avons fait par exemple, un gros travail pour casser la séparation entre exposition permanente et temporaire. C’est un aspect positif car cela nous a mis dans l’obligation de raconter, d’écrire des scénarios liés au contexte urbain, au lieu.
Le musée devient ainsi un outil pour raconter l’histoire de la ville, une grille de lecture pour la comprendre et la vivre différemment.
Cela me fait penser au musée de la Marine à Brest.
On a généralement une image de ville détruite par la guerre lorsque l’on pense à Brest mais le château est bien conservé.
De ce monument, on a une vue imprenable sur la ville. Cette vue, nous permet de saisir Brest, de comprendre sa géométrie, son organisation et son histoire.
A l’inverse, le musée peut-il se diffuser dans la ville ? Sortir de ses murs ?
Malheureusement, nous sommes la plupart du temps, contraints par les conditions de conservation et de sécurité des œuvres. Nous travaillons avec les réseaux sociaux pour prolonger l’expérience mais il faut aller plus loin. C’est un axe intéressant car le musée, s’il raconte la ville, peut aussi la façonner.
Merci monsieur Le Bon.
Biographie Laurent Le Bon
À la tête du musée Picasso depuis 2014, Laurent Le Bon est l’une de ces personnalités typiquement françaises qui font la fierté du monde de la culture hexagonale. Major au concours des conservateurs de patrimoine, cet historien de l’art possède un CV long comme le bras d’un personnage de Picasso.
Conservateur du centre Beaubourg-Georges Pompidou en 2000 et professeur à l’école du Louvre, c’est lui qui pilote le projet centre Pompidou-Metz dont il devient directeur en 2013. Egalement commissaire de nombreuses expositions d’art contemporain dont Jeff Koons ou Takashi Murakami au château de Versailles dans les années 2000, il est aussi chargé de la direction artistique de l’édition 2012 de Nuit Blanche.
Auteur de nombreux livres d’art et catalogues, ce directeur de musée éclectique possède une connaissance artistique à 360 degrés sans pour autant se départir d’une certaine simplicité. Depuis la réouverture du musée Picasso, plus de trois millions de personnes ont visité l’institution qu’il dirige en plein cœur du Marais.
Lors de sa nomination en 2014, Le Monde décrit cet anticonformiste comme “l’une des personnalités les plus inventives du monde des musées français, où il incarne l’exception plutôt que la règle”. Extrait de Le Marais Mood www.lemaraismood.fr
illustration : Roland Simounet, Éléments architecturaux pour le musée Picasso Paris, 1985. © Musée Picasso Paris / Béatrice Hatala, 2011